Introduction : sortir de l’illusion.
Depuis l’avènement de la science économique moderne, on a voulu persuader l’humanité que l’économie était régie par des « lois naturelles » comparables à celles de la physique. Offres et demandes se rencontreraient mécaniquement, la concurrence tendrait vers l’équilibre, la rareté gouvernerait toute organisation humaine. Cette rhétorique a permis de présenter l’ordre marchand comme inévitable, et d’écarter l’économie politique de son terrain originel : la réflexion sur la justice, la société et la vie collective.
Mais cette prétendue naturalité n’est qu’un mythe. Les marchés ne naissent pas de la nature mais de conventions sociales, juridiques et symboliques. Pour autant, il ne faut pas céder au relativisme total : il existe bel et bien des lois naturelles de l’économie, mais elles ne sont pas celles des manuels. Elles s’enracinent dans la condition humaine, dans les structures de la vie, et dans l’inscription des civilisations dans le temps et l’espace.
La tâche est alors claire : dégager ces véritables lois naturelles, non pour fétichiser l’économie, mais pour la replacer dans son rôle de science humaine et cosmique.
I. La loi de l’interdépendance : l’économie comme réseau vital.
L’être humain ne vit jamais seul : il dépend de la terre qui le nourrit, de l’air qu’il respire, de l’énergie solaire qui soutient toute vie. Il dépend aussi de ses semblables, de leur travail, de leurs savoirs, de leurs gestes invisibles.
L’économie n’est pas une mécanique d’individus isolés, mais l’organisation de cette interdépendance. Elle tisse les liens invisibles qui font d’une société un organisme vivant. La première loi naturelle de l’économie est donc la dépendance mutuelle.
II. La loi de l’abondance potentielle : dépasser le dogme de la rareté.
La rareté a été érigée en dogme fondateur de l’économie moderne. Mais elle n’est pas une loi naturelle : elle est une condition historique, issue du gaspillage, de l’accumulation privée, de la mauvaise organisation des ressources.
La nature est un champ de potentialités :
- Le soleil envoie chaque jour mille fois plus d’énergie que l’humanité n’en consomme.
- La matière est indéfiniment transformable par la science.
- La connaissance croît par partage et non par épuisement.
La véritable loi naturelle n’est donc pas la rareté, mais l’abondance potentielle. L’économie doit être l’art de révéler et de distribuer cette abondance, non celui de gérer la pénurie artificielle.
III. La loi de la réciprocité : le socle anthropologique de l’échange.
Bien avant les marchés, les sociétés humaines ont reposé sur le don et le contre-don. L’anthropologie, de Mauss à Polanyi, a montré que l’économie n’est pas d’abord calcul, mais relation, symbolique et reconnaissance mutuelle.
Toute économie qui nie la réciprocité détruit le lien social. Le marché n’est viable que parce qu’il s’appuie, en amont, sur un tissu de confiance et de solidarité. La réciprocité est donc une loi anthropologique universelle, sans laquelle aucune société ne survit.
IV. La loi de la temporalité : rythmes et cycles de l’histoire.
La vie est rythmée par des saisons, des générations, des cycles. Les économies obéissent aux mêmes pulsations : croissance et crise, stabilité et rupture, régimes d’accumulation et effondrements.
La Natiométrie permet d’inscrire cette temporalité dans un cadran mesurable : le cycle de 128 ans qui scande l’évolution des nations. L’économie n’est pas un état fixe mais une dynamique temporelle. Reconnaître cette loi, c’est accepter la cyclicité de l’histoire et sortir de l’illusion d’une croissance infinie.
V. La loi de la justice : condition de survie des sociétés.
Enfin, il est une loi propre à l’ordre humain : nul corps social ne résiste longtemps à l’injustice. Lorsque les richesses sont accaparées par quelques-uns, lorsque les inégalités détruisent la confiance, les sociétés s’effondrent. L’histoire des civilisations est traversée par ces chutes liées à l’excès d’inégalités.
La justice n’est pas seulement une exigence morale : elle est une loi naturelle de stabilité sociale. Sans elle, aucune économie n’est viable à long terme.
Conclusion : de la mécanique fictive à la matrice vivante.
Les « lois » proclamées par l’économie orthodoxe — équilibre, rareté, rationalité individuelle — ne sont pas naturelles, mais artificielles, construites et révisables. Les véritables lois naturelles de l’économie résident ailleurs : dans l’interdépendance vitale, l’abondance potentielle, la réciprocité anthropologique, la temporalité cyclique et la justice sociale.
C’est à partir de ces lois que la Natiométrie entend refonder l’économie politique. Elle ne propose pas un retour à la physique sociale, mais une science du vivant collectif, attentive à la durée, aux équilibres invisibles et à la justice.