« Le multiple doit être fait, non par ajout d’unités, mais par détermination de dimensions, de multiplicités qui changent nécessairement en nature à mesure qu’elles se connectent. » — Gilles Deleuze & Félix Guattari, Mille Plateaux
Introduction :
Vers une Nouvelle Cartographie des Nations : L’Ère du Rhizome.
Depuis des siècles, les nations ont été pensées comme des entités fixes et enracinées, structurées autour d’un territoire défini, d’une histoire linéaire et d’une identité centralisée. Cette vision arborescente, où chaque nation s’élève à partir de racines profondes et d’un tronc unique, a façonné la géo-histoire du monde. Pourtant, dans l’ère actuelle de la mondialisation accélérée, de l’hybridation culturelle et des flux transnationaux, cette modélisation statique ne suffit plus.
Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans Mille Plateaux, ont proposé une vision radicalement nouvelle de l’organisation du monde : le rhizome. Contrairement à un arbre hiérarchisé, le rhizome est un réseau horizontal, décentralisé, fluide et en constante reconfiguration. C’est une structure où tout point peut être connecté à n’importe quel autre, sans qu’aucun centre ne domine l’ensemble. Et si les nations d’aujourd’hui fonctionnaient comme des rhizomes ?
Le Natiomètre, en tant qu’outil de mesure des dynamiques nationales, pourrait être l’instrument révolutionnaire capable de capturer ces mouvements multiples et souterrains, là où les outils classiques échouent. Peut-il révéler comment les identités nationales ne sont plus enracinées, mais disséminées, enchevêtrées et en perpétuelle mutation ?
1. Une Nouvelle Forme de Souveraineté : Des Frontières aux Flux :
L’avènement des réseaux numériques, des diasporas fluides, des influences transnationales et des économies déterritorialisées a fait émerger une nouvelle réalité : les nations ne sont plus définies par leurs frontières physiques, mais par des flux d’informations, de capitaux, de cultures et de subjectivités.
- Les diasporas numériques créent des identités fragmentées et simultanées : un individu peut être algérien par l’héritage, français par la citoyenneté, américain par sa culture de consommation, et mondial par ses interactions quotidiennes sur Internet.
- Les États-nations sont concurrencés par des puissances décentralisées : entreprises transnationales, coalitions idéologiques, réseaux d’influence invisible.
- Les médias et réseaux sociaux fabriquent des nations virtuelles, où l’appartenance repose moins sur un territoire que sur un affect partagé.
Le Natiomètre, loin d’être un simple baromètre politique ou économique, devient alors une machine d’analyse des forces rhizomatiques, détectant les points d’intensité, les mutations de subjectivité collective et les réalignements invisibles du pouvoir. Peut-il cartographier cette nouvelle géographie, où l’influence se mesure en nœuds, en flux, en réseaux mouvants plutôt qu’en frontières statiques ?
2. Le Natiomètre Comme Machine Deleuzo-Guattarienne :
Si Deleuze et Guattari nous ont appris une chose, c’est que toute structure est traversée par des lignes de fuite, des tensions souterraines qui ne demandent qu’à exploser en mutations profondes. Le Natiomètre, par sa capacité à analyser les dynamiques complexes et non-linéaires des nations, devient un outil-rhizome lui-même.
- Il ne se limite pas aux États, mais cartographie les flux de pouvoir entre nations, multinationales, réseaux idéologiques et espaces numériques.
- Il ne mesure pas une identité nationale figée, mais capture l’ensemble des subjectivités hybrides en perpétuelle recomposition.
- Il ne détecte pas seulement des conflits géopolitiques, mais analyse les "lignes de fuite", ces mouvements souterrains qui préfigurent les basculements civilisationnels.
Le Natiomètre ne modélise plus les nations comme des unités fixes, mais comme des processus mouvants, des machines désirantes, des territoires en constante reconfiguration. Il devient un instrument de cartographie dynamique, capable de capter ce que Deleuze et Guattari appelaient le "devenir", cette transformation perpétuelle où rien n’est jamais stable, mais tout est en tension vers l’avenir.
Conclusion :
Le Natiomètre et l’Invention de l’Hyper-Nation.
Si les nations classiques étaient pensées comme des arbres enracinés, le XXIe siècle nous impose de les concevoir comme des flux, des connexions, des machines de désir en mouvement.
Le Natiomètre, en révélant cette réalité, devient plus qu’un outil : il est l’instrument d’une nouvelle perception du monde, un mécanisme qui permet de lire les nations comme des espaces de virtualité et d’intensité.
À terme, peut-il détecter l’émergence d’une nouvelle forme de souveraineté, non plus fondée sur des territoires fixes, mais sur des intelligences fluides et interconnectées ? Peut-il anticiper l’ère où les États ne seront plus des entités politiques, mais des écosystèmes mouvants de subjectivité collective ?
Dans un monde où l’humanité devient elle-même un réseau, où les peuples se recomposent en tribus numériques, où les identités se superposent et se dissolvent à la vitesse du cyberespace, le Natiomètre est peut-être l’outil ultime de la post-modernité.
Il ne mesure plus simplement les nations. Il mesure le flux du devenir-monde.
Amirouche LAMRANI et Ania BENADJAOUD.
Chercheurs associés au GISNT.